Expéditions 1994/1997/1998/2011 au camp d’exploration Picos de Europa, en Espagne, avec des gouffres parmi les plus profonds du monde.
RECORD DU MONDE
Introduction à l'expédition
Plus d'un kilomètre de première dans une belle rivière après avoir dévalé 1500 m de puits. Ce rêve s'est concrétisé pour l'association Cocktail Picos et l'Interclubs Espeleo Valenciano (LEV) au fond de la Torca del Cerro en août et septembre 1998. Cerise sur le gâteau lors de ce camp d'été, l'exploration d'un autre gouffre la Torca Idoubeda jusqu'à –1167. La 7eme fois que nous dépassons la cote -1000 sur le massif.
Ces résultats enthousiasmants ne sont en rien le fruit du hasard. Ils s'inscrivent dans un massif, les Picos de Europe, qui possède aujourd'hui la plus forte concentration mondiale de grands gouffres : sur un massif de 15km sur 30 (la moitié du Vercors) déjà neuf gouffres ou réseaux dépassent les 1000 m de profondeur en date de 1999. Ils sont également la continuité des explorations que nous avons réalisées depuis dix-huit ans en revenant chaque été sur ce très beau massif, côté français sous l'égide du Spéléo-club de la Seine, puis à partir de 1990 de Cocktail Picos, et côté espagnol (parallèlement ou conjointement selon les périodes) au sein de l'Interclubs Espeleo Valenciano. Trois termes caractérisent aussi bien ces dix-huit années que notre dernier camp travail méthodique, ténacité et chance. Cette conjonction notes a donné une suite ininterrompue de découvertes passionnantes.
Après la très belle exploration de la Torca Urriello jusqu'à -1017 en 1981-82 , nous nous déplaçons sur le secteur du Trave (prononcer Travé), deux kilomètres à l'ouest, alors vierge de toute prospection; nous n'aurions alors jamais imaginé y être encore en 1998 ! Cette zone possède une densité de très grands gouffres vraiment extraordinaire. Sous une surface de deux kilomètres carrés, nous avons atteint (pour l'instant...) six fois la cote -1000 avec : le Sistema del Trave (-1441), exploré de 1982 à 1989, composé de trois -1 000 (Sima de! Trave, Torca de la Laureala, Torca del Alba) dont un atteint un gros collecteur, a la Torca de las Rebecos (-1255), explorée en 1987 et de 1990 à 1994, très verticale, et d'exploration plus aisée que ses voisins pour sa profondeur, la Torca de! Cerro (-1589), de très loin le gouffre le plus difficile du secteur, qui nous a mobilisé depuis 1990, e et enfin le "petit" dernier non terminé : la Torca ldoubeda qui s'est livrée pour l'instant assez rapidement jusqu'à -1167.
Contexte géographique et géologique
Les Picos de Europa sont un massif montagneux bien défini du nord de l'Espagne, à la limite des provinces de Cantabria, Asturias et Leon, à une vingtaine de kilomètres de la côte atlantique.
La structure géologique des Picos est constituée d'une succession de chevauchements de séries carbonatées très massives du Carbonifère. La série initiale, d'une puissance de plus de 1 000m et constituée de calcaire rigide et compact, a subi de puissantes contraintes de compression horizontales qui ont écaillé les couches et les ont empilées obliquement les unes sur les autres
Ainsi, des sommets qui dépassent souvent 2 500 m (point culminant à la Torre Cerredo 2648 m), aux résurgences parfois très basses (300 m), il y a une succession ininterrompue de calcaire.
C'est ce contexte géologique qui est très favorable à la présence de grands gouffres. La zone du Trave, sur (ou plutôt sous) laquelle se sont concentrés nos travaux, est située dans le nord-ouest du massif central (ou massif de los Urrielles) des Picos de Europa. Elle s'étend à l'est des Cuetos del Trave (2253 m). Elle est drainée vers la résurgence du Farfao de la Vina (altitude 320 m, débit moyen de 3 m3/s). Ce drainage n'a pas été prouvé par coloration mais il est plus que probable compte tenu d'un débit spécifique moyen annuel sur le massif (précipitations moins évapotranspiration) de 55 1/s/cm2, le bassin versant de cette résurgence est d'environ 50 km2 ; il ne peut donc que comprendre le secteur du Trave situé à faible distance. À notre connaissance, il n'y a eu qu'un seul traçage positif vers le Farfao de la Vina : celui réalisé en 1998 par un inter-clubs de Cantabria et Asturias depuis la Torca Castil (-1028) située à 8 km au sud-est de la résurgence.
Le secteur du Trave est difficile d'accès. On peut s'y rendre soit par le nord depuis Poncebos par Bulnes et l'alpage d'Amucsa (1 800 RI de dénivelée pour une distance de 8,5 km), soit par l'est depuis Soties par le Collado de Pandebano et Urriello (1200 m de montée, 300 m de descente, pour une distance de 9 km).
À partir de l'été 1999, l'accès par le nord sera légèrement réduit puisque le village de Bulnes, qui n'est desservi par aucune piste carrossable, sera accessible par un train souterrain à crémaillère.
La Torca del Cerro de l'entrée au fond
Prenez un massif granitique haut et pointu, avec de beaux glaciers, comme dans les Alpes ou les Pyrénées- Enlevez la glace et transformez le granite en bon calcaire bien karstifiable. Abaissez l' altitude (2600 m maxi) de telle sorte que les glaciers n'y reviennent plus. Creuser les combes jusqu'à ce qu'elles deviennent de vastes dépressions. Ça y est, le décor est planté, vous êtes aux Picos de Europa !
Maintenant, amusons-nous à poser deux spéléologues et leur attirail dans une "Jeu" (dépression en espagnol). Dès l'arrivée, ils "bossent" : transport et rangement du matériel, de la bouffe, des poubelles, installation des tentes ; ils sont hallucinants ! D'autres compères montent de la vallée profonde, et malgré leur état de fatigue avancé, mettent la main à la pâte. Vous pouvez aussi jouer un peu avec eux, soufflez très fort sur le campement, arrosez-les... Voyez, ils sont très drôles ; ils courent dans tous les sens, s'accrochent aux coins de leurs tentes, tendent des cordes, creusent des tranchées.
Certains abandonnent le navire, et vont boire une "binouze" au refuge sous prétexte de relevé topographique... Et puis, donnez leur un peu de soleil ils s'étalent, et ils étalent leur matériel parfois à perte de vue. Enfin, ils organisent ce pour quoi ils sont venus l'exploration des "Torca", et notamment de celle qui se prénomme Torca del Cerro. Il parait que c'est parfois très gras, mais en tout cas très profond. Enfilez votre baudrier (confortable), installez votre descendeur (poulie neuve), un des explorateurs de la cavité vous emmène à la découverte du réseau principal. Suivez le guide La Torca del Cerro, alias T33, est aujourd'hui la plus profonde intégrale du monde. Cela ne nous arrange pas puisqu'il faut actuellement avaler pas moins de 82 obstacles verticaux, équipés par plus de 2400 m de cordes, pour aller chercher son petit bout de première au fond. Cela représente en moyenne treize heures pour descendre, et vingt et une heures pour remonter.
L'entrée et les Montagnes russes
L'entrée, découverte en 1990, est à une demi-heure de "Refugio de los Cabrones", à côté duquel le camp est installé. Deux entrées s'offrent à nous : le T33 et le T33 bis. Ce dernier est actuellement utilisé pour des raisons de commodité ; il a été découvert par l'intérieur. Le puits de 27 m d'entrée, puis un éboulis, nous mènent à un court méandre étroit baptisé Fereacéça en souvenir d'une violente désobstruction. Suit un puits de 5 m, qui débouche dans une salle ébouleuse de belles dimensions (25 m par 15). Une désescalade entre les blocs et un puits de 6 m marquent le départ d'une large diaclase à forte pente encombrée de cailloux et de blocs. Celle-ci, coupée par plusieurs verticales et une escalade, descend à -176 rn, terminus 1990, et ça queute! 1991 la suite appartient aux grimpeurs.
Deux séances d'escalade sont effectuées pour trouver la suite (escalade de 24 rri) en haut du puits terminal, puis deux autres pour atteindre le puits Uzeb. Inutile de vous préciser que cette partie monte ce sont les Montagnes muses, un "goulag" lorsqu'on revient du fond. Shunter ces escalades par une entrée inférieure fut l'objet de nombreuses discussions, et aussi de quelques séances d'artificielle, en vain !
Du puits Uzeb à la salle du Conciliabule (-545 m)
La suite est paisible. Les puits s'enchaînent jusqu'à -445 m (attention : écailles "touche cordes"), salle Zabou la Miche (terminus 1991), . Nous arrivons au terminus 1992 un méandre alors trop étroit, ou peut-être une baisse de motivation ce jour-là? 1993 : nous sommes quatre cette année, et nous décidons donc que le T 33 sera l'objectif unique et principal. Le méandre de -445 In est franchi sans explosif; il est baptisé tout naturellement Tavéca. Il faudra néanmoins quelques séances de dynamitage pour le rendre attrayant. L'enchaînement des puits Schlassenegger jusqu'à la salle du Conciliabule ne pose pas de problèmes, sauf peut-être l'arrêt sur bout de corde on n'est jamais trop ambitieux en corde, surtout aux Picos! Conciliabule il y a eu pour décider des recherches : Narbe et Éric ne croyant pas en une continuation évidente dans la salle, recherchent une suite en hauteur (réseau Narbéric). Nico décide, lui, de suivre l'actif, descend le puits de 12 m et découvre le méandre Lasuitéla. Mais est-ce vraiment ce cadeau, cette suite-là?
De -545 à -700: la partie la plus pénible du gouffre
La suite est une succession de cinq méandres étroits entrecoupés par des puits. Le méandre Lasuitéla, de 50 m de long, est un ancien méandre fossile bas et étroit parcouru par un courant d'air aspirant. Il comporte une chatière désobstruée et s'achève sur un puits de 40 m. Le méandre Ernesto, de 60 rn de long, plus haut que le précédent, est également plus large, du moins jusqu'à un brusque changement de direction. La première partie de ce méandre comprend une zone ébouleuse dans laquelle en 1996, notre ami Ernest a chatouillé un peu trop un gros bloc, et s'est retrouvé coincé dessous pendant une longue période angoissante. Suit une série de puits : au sommet étroit. Un nouveau méandre se présente, étroit, dans lequel il faut d'abord descendre légèrement, puis remonter dans un élargissement. Seule une descente dans la fissure centrale permet alors d'atteindre le haut du P14 si vous réussissez à vous longer avec vos bottes, vous êtes en sécurité! Évitez également d'envoyer pierres et kits sur les copains qui dorment, le bivouac est au pied de la corde. La suite est un étroit méandre accrocheur constellé de choux-fleurs : le méandre Croustillant.
Après une descente en opposition dans ce méandre et un puits de 5 m (où la technique du Jaugeage grâce aux bottes est également de rigueur...), il faut à nouveau remonter vers un puits de 8 m (terminus des explorations en 1993) qui n'est autre qu'une verticale dans le méandre. De belles et larges banquettes conduisent rapidement au sommet d'un vaste puits salle de 27 m (cote -700) la salle de la Sacoche fantôme. Ouf ! Ici s'achève la partie la plus difficile du gouffre à parcourir.
De la salle de la Sacoche fantôme (-700) à la salle Zépafini (-1 024)
Au nord de la salle, un puits de 7 m conduit à un affluent qui se perd entre les blocs. Mais, un ressaut remontant donne accès à une courte galerie puis à un méandre fossile couverts d'épais choux-fleurs et excentriques. Deux petites verticales mènent au vaste puits de 95 m le puits Moc. Ne cherchez pas une onomatopée savante pour expliquer le curieux nom de baptême de ce puits, il s'agit de l'abréviation de mission objecteur de conscience, mission du premier spéléologue pendu au bout de sa corde dans ce puits imposant (25 x 10 m). Jusqu'à la cote -1024, une véritable "rafale" de puits s'enchaîne. C'est certainement la plus belle partie du gouffre : puits en amande, vasques, cascatelles ; un véritable petit canyon sans concrétions, trémies, siphons (le trio des empêcheurs de descendre profond...) On débouche ainsi dans la vaste salle ébouleuse Zépafini (30 x 15 m).
De la salle Zépafini (-1 024) au terminus 1997 (-1 463 m)
Heureusement, la salle dépolis n'est pas finie (!) : un passage en trémie désobstrué, parcouru par un Courant d'air à nouveau aspirant, permet de se retrouver dans un élargissement occupé par de gros blocs. Vingt mètres plus loin se présente un gros puits sec qui marque le début du réseau du Vieux fossile (c'est qui le Vieux ?) ; en effet, le réseau devient très sec jusqu'à -1280. On n'y rencontre pas la moindre goutte d'eau (soif !) et les dépôts y sont constitués d'une terre sèche et pulvérulente. Ce réseau comporte également de petites touffes de gypse du plus bel effet qui tapissent complètement certaines parois. Un puits de 23 m nous dépose sur un palier constitué de gros blocs coincés.
Par mesure de sécurité, la suite n'est pas équipée directement dans l'axe des chutes de pierres (et de blocs !) mais en remontant et en équipant sur un énorme bloc qui a donné son nom au puits de 45 m suivant, le puits du Mégabloc. Suit un ressaut de 8 m, ce méandre déchiqueté, et le puits de 53 m accédant au beau vide de la salle Olvidar (15 x70 m). Lors de l'exploration qui permit la découverte de la suite, nous n'avions emporté essentiellement que du déshydraté alors qu'il n'y avait pas une goutte d'eau... Olvidar (oublier en Espagnol) nous paraissait alors bien choisi pour sa connotation désertique, et également pour nommer la suite t "Passaje a olvidar". Celui-ci se trouve à l'autre extrémité de la salle, au sommet du vaste éboulis, dans une trémie dans laquelle on descend d'abord par un puits de 5 m entre des blocs instables (!) t puis on franchit un boyau très étroit (le passage à Olvidar). Derrière, deux petits puits de 8 et 14 m mènent à un méandre fossile débouchant à l'aval sur un énorme et impressionnant puits de 124 in : El Sotano.